Pourquoi être l'éditeur d'Henri Guillemin
par Jean-Marc Carité
Pourquoi devenir, être éditeur d'Henri Guillemin ?
Avant 18 ans, déjà, j'ai découvert Henri Guillemin par ses livres envoyés par Gallimard en service de presse à mon père, Maurice. Tous deux s'étaient rencontrés chez Marc Sangnier dans les années 30, au moment de Jeune République (qui succéda au Sillon) et du Front Populaire.
Il y eut une grande fidélité réciproque. Mon père chroniquant régulièrement les livres d'HG dans ses collaborations diverses avec un échange épistolaire suivi. Les deux dédicaces ci-contre en démontrent l'ancienneté : l'une pour son Flaubert devant la vie et devant Dieu (1939), l'autre pour La tragédie de 1848, première version (1948).
Dire que je suis tombé dans la marmite enfant serait exagéré sans doute. Mais, enfin, avant de devenir éditeur, un de mes premiers « vrais » articles fut consacré à sa Jeanne dite Jeanne d'Arc.
Le virus dès lors était à l'œuvre.
Succédant à mon père, mais dans d'autres publications, je recensais régulièrement les nouveaux livres d'Henri Guillemin.
Jusque dans une revue que j'avais fondée : « Tripot » (revue « mal famée ») et que j'éditais depuis 1974 avec Marie Fougère, active complice de nos engagements.En 1977 nous lui rendons visite à Neufchâtel en Suisse pour préparer un numéro spécial de cette revue, le numéro 20 « Avec Henri Guillemin ».
Plusieurs heures d'entretien. Un repas simplement partagé. Un petit clopet pour lui. Reprise. Puis visiblement (Jacques Bertin eut la même impression une décennie plus tard), il en avait déjà assez dit, et puis le travail l'attendait... Et, justement, nous avions un train à telle heure, ce serait dommage de le rater. De toute manière le charme et la force de convictions avaient opéré.
Nous ramenions cet enregistrement comme une pépite que nous avons publié, très largement revue et corrigé (voire expurgé) par HG lui-même, dans cet hommage « Avec Henri Guillemin ».
Nous y avions aussi publié, republié, son texte « Rappelle-toi, petit » qui raconte le coup d'état de Napoléon III vécu dans un petit village du mâconnais.
Que nous avons édité ensuite dans notre collection « Jeunesse ». Modeste début, certes, mais début tout de même de l'édition de son œuvre.
Dès lors, nous nous sommes enhardis et lui avons proposé chaque fois que cela nous semblait possible de rééditer ses ouvrages édités hors « grandes » maisons et épuisés sans reprise envisagée.
Il y eut ainsi son Zola, légende et vérité, ses autres livres jeunesse, puis son Napoléon tel quel (réédité sous le titre Napoléon légende et vérité). Ce nouveau titre collait pour nous à l'historien (même si notre changement le chagrina un peu), d'autant plus que nous avions dans le même temps rencontré Patrick Berthier qui venait de publier chez Gallimard Le Cas Guillemin et était en panne pour le complément refusé par cet éditeur (ça aurait fait un livre trop gros...) et préparait une bibliographie d'HG. Nous avons donc édité la seconde partie du travail de PB sous le titre « Guillemin légende et vérité », ce qui nous semblait cohérent. Puis sa bibliographie sous le titre « Soixante ans de travail ». (Une nouvelle édition entièrement revue et actualisée est parue en 2016 à nos éditions : Guillemin, une vie pour la vérité).
« Quel incroyable turbin s'est infligé Pat. B. pour construire ça... Il y fallait de l'abnégation. » nous écrivit Henri Guillemin à la réception de cette bibliographie.
Et nous avions compris alors la dimension extraordinaire de l'historien, sa profonde simplicité et humilité (même si parfois « surjouées », en bon acteur qu'il était).
Sa confiance, paternelle et fraternelle, en notre travail, aussi, nous a
permis, pas à pas, d'envisager sans inquiétude d'être ses éditeurs . Ce qui quelques années auparavant paraissait impossible, inaccessible. Même si, je le cite pour le plaisir, notre ami éditeur Robert Morel conseillant à un jeune auteur de nous envoyer ses manuscrits et devant l'ignorance de cet auteur à notre égard, lui asséna : « Mais, oui, Carité, c'est le Gallimard de l'an 2000 ». Le Gallimard sans doute pas, l'éditeur d'Henri Guillemin, à l'évidence oui.
Il fallut bien sûr rester sourd aux critiques malveillantes et attentifs aux bienveillantes. Car les médias avaient tendance à assimiler l'éditeur à l'auteur. Mais, au final, dans notre « catalogue » des alternatives, la vision critique de l'Histoire d'Henri Guillemin y a toute sa place.
Pour étayer ces critiques, on a discuté à l'infini de l'histoire passionnée et
de l'histoire objective... jusqu'à admettre désormais, comme il le soulignait, que l'objectivité, en cette matière en tout cas, n'existait pas et qu'il fallait, là aussi, arrêter de nous raconter des blagues.
Un Michelet, objectif ? A d'autres...Lui, comme nous à notre dimension, n'avions pas choisi la facilité. A contre-courant de tous son Napoléon reste pour nous symbolique d'un engagement entier et passionné.
Certes nous nous situions dans la même philosophie politique, mais cela n'expliquait pas tout. Il y avait aussi et sa correspondance avec lui le montre bien, la même envie « d'autre chose », d'une société apaisée et égalitaire.
A sa disparition il devint vite évident que son œuvre qui n'était plus entretenue par la flamme de son combat et des polémiques qu'il engendrait (je réfute à ce sujet tout à fait le mot qui me semble maladroit de « polémiste » pour HG. Ça n'a jamais été lui qui lançait des polémiques, mais bien ses adversaires) que son œuvre donc perdait rapidement de l'intérêt pour ses éditeurs passés.
Dès lors, avec l'amitié indéfectible de Philippe Guillemin nous avons « récupéré » peu à peu tout ce qui était épuisé.
Gallimard nous lâchait les titres, un par un, deux les bonnes années, en renâclant, traînant les pieds... Jusqu'à ce qu'il se rende à la raison et libère les droits sur cette œuvre qu'il ne défendrait plus.
Arléa suivit, très gentiment, précisant que cet ensemble chez Utovie « faisait sens ».
Avec Le Seuil il fallut faire jouer la clause contractuelle de non-réédition pour récupérer les droits. Mais cette maison d'édition est devenue un tel bazar...
Nous voici en 2021 : l'ensemble de son œuvre est à nouveau mis à disposition du public. Et il faut suivre, bien sûr, l'injonction de Patrick Berthier : « Ne vous contentez pas de regarder Youtube : lisez Henri Guillemin...»
Alors, aujourd'hui : fierté d'éditeur d'avoir mené à bien ce travail imposant démarré en 1977. Plus de 40 ans, ça n'est pas rien. Fierté aussi de rester fidèles à nos convictions.
En conclusion, tout de même, et pour répondre à la question posée dans le titre. Pourquoi devenir, être éditeur d'Henri Guillemin : par passion.
Par passion commune de la vérité historique et par fidélité à nos convictions.
Jean-Marc Carité
Ce texte fut lu (dans une version un peu différente) lors de l'Assemblée générale 2017 de l'association Présence d'Henri Guillemin, à Mâcon, par notre amie Joëlle Pojé-Crétien, alors présidente de PHG.