
[...] Il rêvait longtemps, le soir, sur cette racine de palétuvier, noircie par l'océan, qui avait volé la forme d'un lourd oiseau aquatique, blessé à mort, qui se retourne une dernière fois sur la magnificence du monde. Trop étrange pour ne pas être né d'un feu de brousse, dans une île perdue où seules les pirogues silencieuses peuvent accoster au crépuscule de nacre…
Encore heureux qu'elle soit tournée du côté de l'Océan, la case. La nuit, le vent de mer, ou plutôt de l'estuaire, y vient pleurer sous les portes, pauvre lamantin échoué entre les filets traîtres des hommes de la forêt. Mais, entre deux coups de tonnerre, un souffle léger glisse jusqu'au lit. Sans la moustiquaire, Simon pourrait s'en régaler.
Quelque chose remue sous son coussin. Il allume : quatre blattes rougeâtres, grosses comme son pouce, lui tiennent compagnie… Où est l'orgueil solitaire ? Odeur de renfermé, de moisi. Craquement et bourdonnement de la nuit africaine. La poussière de latérite est plus fine qu'on pourrait le croire au premier abord. Soudain, il sent l'abandon, malgré les images colorées que les enfants de Valère ont laissées sur les murs.
En prenant son verre, Simon se souvient de sa conversation avec Véran, ses conseils d'ancien : « Méfie-toi de la solitude africaine. Ne reste jamais sans rien faire. Trouve un job. (Depuis qu'il roule sa bosse – cinq années – dans le bled, il s'est mis à parler comme les Américains, ici il en sort partout)… Pêche, peins, écris… sans cela, attention… »
Et voilà, comment un pauvre couillon qui est ici en mission, pour deux mois peut être, se prend pour Robinson Crusoé. Il se croit sur le plateau Batéké, là haut, avec des milliers de noirs mal intentionnés qui font de petits trous dans les murs des toilettes pour épier le Blanc… ou plutôt la Blanche. Il se perd dans des centaines de lieues de forêts qui descendent jusqu'au Congo des mangeurs d'Européens… Les mirages de l'accueil blanc…
