
Oui, je serais sans doute plus heureux si j’aimais ma femme... Mais suis-je le maître de ce sentiment-là ?
J’ai fait l’impossible, mon cher oncle, pour me vaincre sur la répugnance qu’elle m’a inspirée dès le premier moment ; je n’en ai jamais été le maître. Qui sut mieux que vous comment j’ai été marié, dans quelle circonstance ? Etait-il temps de me dédire quand je suis arrivé à Paris ? Tous les préparatifs étaient faits, le roi avait signé, chose qui n’a jamais été sans la présence du prétendu, remarque faite par tout Paris.
Eh bien, j’ai fait ce qu’à la vérité un honnête homme ne devrait jamais faire : ma bouche a promis ce que mon cœur ne pouvait tenir. Et cessant de me croire engagé parce que je ne l’étais que pour la forme, j’ai cru que tout mon devoir consistait à cacher mes vrais sentiments. Je me suis presque abusé moi-même et l’obligation d’être faux en engourdissant les vrais sentiments de mon cœur me fit un instant trouver mon devoir moins lourd en me déguisant la haine, las d’être si longtemps contraint et d’avoir dit depuis deux ans : « je vous aime », sans le penser ; je cherchais à le penser pour avoir du plaisir à le dire.
Je vis clair alors, mais en me reprochant d’avoir trompé, je projetais de tromper encore mieux.
Mais soit qu’il y eut moins de fausseté, ou que mon cœur fut mieux abusé, je n’eus pas les mêmes remords. Voilà où je suis, situation affreuse sans doute, mais moins cruelle que celle où j’étais... Ah ! croyez-moi mon cher oncle, je suis plus digne d’être plaint que d’être blâmé.
