
2 mai 1907
Cher Jules Renard,
Je suis revenue auprès d’Edmond. Il m’inquiète énormément. Il voit ressurgir toutes ses angoisses simplement assoupies. D’autres auraient été grisés, gonflés d’un succès tel que le sien, lui a seulement le sentiment qu’il lui crée de nouveaux devoirs. Dans tous les milieux se pose désormais une question : Quelle sera la prochaine pièce d’Edmond Rostand ? Il n’a donc plus qu’un souci : remplir sa renommée.
EDMOND
Juin 1907
Mon cher Coquelin,
Je préfère ne pas vous voir tellement je suis souffrant, nerveux et désolé de n’avoir rien à vous dire et aucun rôle à vous assurer. Les dernières chaleurs m’ont rendu fort malade. Je souffre d’épouvantables migraines et suis de nouveau atteint de découragement profond.
ROSEMONDE
Mon très cher Jules Renard,
De jour en jour progresse cette espèce de masochisme infernal qui le conduit à se flageller lui-même, à se punir en se privant de tout, repas, lumière, sorties, conversations, lorsqu’il croit que son travail ne produit rien de valable, qu’il n’a aucun génie … Souvent il cesse tout travail, couvre ses feuilles de dessins sans suite, ne quitte son lit que pour le fauteuil.
Mon petit Edmond redevient alors un enfant fragile, qu’il faut amuser et consoler.
EDMOND
Mon pauvre Coq, à quoi bon jouer ce jeu puéril de vouloir espérer toujours et d’imaginer que demain, par un miracle, j’écrirai d’un trait tout ce qui manque et que tous, amis ou détracteurs, attendent en piaffant d’impatience ? Non, mon cher ami, ma santé ne me permet plus de travailler d’une façon suivie, et surtout dans la joie. On n’écrit ces œuvres-là que rapidement et joyeusement. J’y dois renoncer.
