
RACINE
À Uzès, ce 23 février 1661
Sieur Molière…
Cher Monsieur Molière…
À part :
Non.
Très cher Monsieur de Molière…
Très honoré et…
À part :
Bon.
J’imagine combien pareille lettre, Monsieur, a de quoi surprendre, vous étant adressée par une personne inconnue de vous.
Je vous prie de ne voir en cet abord que l’élan d’un très humble admirateur qui, cédant de bonne grâce à l’encouragement de notre ami commun, Jean de La Fontaine, prend cette inconvenante liberté en des termes qui, je l’espère, sauront toucher et votre bonté et votre patience.
C’est ainsi, qu’avant-hier, je m’en fus à la comédie où, pensant trouver le bonheur, je rencontrai le génie.
Moliere lisant la même lettre, celle de Racine
« Des éclats passionnés de votre comédie héroïque, Dom Gracie de Navarre, les murs du Palais Royal, votre théâtre, vont désormais vibrer ; comme en tremble encore mon âme.
Molière est ravi. […]
Racine continuant d’écrire la même lettre
L’on vous dit premier farceur de France et je vous découvre tragédien !
Prenez, Monsieur, que vous comptez un admirateur de plus…
Il se ravise et raye cette dernière phrase.
J’admire le destin qui fait de vous l’égal des plus…
Idem. Il réfléchit et soudain se frotte les mains de contentement.
J’admirais Corneille hier, je vous adule aujourd’hui.
D’abord satisfait, il change à nouveau d’idée.
À part :
Non. Tout de même… admirable Corneille ! Dom Gracie de Navarre… (À sa mimique, on comprend qu’il n’a pas apprécié.) Enfin, ad augusta per angusta, alors…
Hier, j’admirais le verbe français, vous me le faites aduler aujourd’hui.
À part :
Voilà !
Un jour viendra et cela sera moins justice que vérité, où nous ne dirons plus la langue française, mais la langue de Molière...
Il rit de sa trouvaille. […]
Aujourd’hui à l’avis de La Fontaine…, j’ose vous soumettre mon ouvrage, Théagène et Chariclée. […]
À votre habileté, je remets le jugement qui me tiendra lieu de vérité. […]
Moliere relisant ce qu’il vient d’écrire
Paris, 1661
Monsieur,
Vous dire que j’aurai usé de mon précieux temps à vous lire du simple fait de votre caressante lettre outragerait ma probité. Mais l’avis de notre très cher ami commun a excité la curiosité où j’ai été de vous mieux connaître et j’ai souhaité ouïr votre ode que m’avait louée Chapelain, notre redouté critique ; voyez comme vous n’êtes pas si inconnu ici. Votre hommage composé pour le mariage de notre Souverain, Nymphe de la Seine, m’en a suffisamment fait accroire pour me donner l’envie de pousser ma chance en lisant votre pièce.
Je vous remercie de me croire suffisamment d’esprit pour juger de votre ouvrage. Celui-ci me confirme les dispositions que vous avez.
Cependant, me déclarer parfaitement content de ma lecture serait offenser l’honnêteté que je vous dois.
Si Théagène et Chariclée fait montre d’une grande...
À part :
Bla, bla, éloges, éloges…
... le travail dont je vous crois capable saura vous apporter l’habileté nécessaire à écrire des pièces que les comédiens voudraient jouer.
