
Lili
Elsa, ma petite chérie,
Tu me dis : « Volodia, encore Volodia, toujours Volodia ? » Je te répondrai : l’homme a beau me laisser de glace, le poète m’enthousiasme toujours autant.
Notre Russie orpheline est désenchantée, entre la lourde perte de son père du peuple, et le spectre de la mère nourricière du désastre ambiant : la famine. Malgré tout, nos idéaux ont encore de beaux jours devant eux.
Avec Ossip et Volodia, nous avons créé une nouvelle revue, le LEF, le front de gauche des arts, une tentative de bâtir une plate-forme pour l’esthétisme futuriste.
Volodia est maintenant une vraie célébrité de la littérature soviétique. Il est invité partout. Il parcourt le pays en tous sens. Aussi, on l’exporte ! Un véritable tour du monde. Sous la bénédiction de nos autorités. Il sera même bientôt à Paris ! Lorsque tu le verras, ma chérie, surtout raconte-moi tout ce qu’il y fait. Rapporte-moi tout, dans les moindres détails. Malgré ses lettres ou ses télégrammes, il ne dit rien de lui, sinon des anecdotes.
Je t’embrasse, ainsi que Triolet.
Ta sœur qui t’aime.
Lili
Maïakovski
Cher-cher, chéri-chéri, aimé-aimé Lilek.
Je suis déjà depuis une semaine à Paris.
Personne n’est venu me chercher à la gare puisqu’ils ont reçu mon télégramme dix minutes avant l’arrivée du train. Si bien que j’ai dû chercher Elsa tout seul, en m’appuyant sur mon français extraordinaire.
M’ennuie, m’ennuie sans toi.
Chaque fois que ta sœur Elsa a une intonation semblable à la tienne, je verse dans un lyrisme cafardeux et sentimental.
J’ai peur de passer pour un plouc mais si tu savais à quel point je n’ai pas envie de faire cette longue route. Je veux rentrer et lire mes Verses.
Le fameux Paris au printemps ne vaut rien, rien n’y fleurit, sauf des travaux à chaque coin de rue.
Aujourd’hui 1er mai, j’ai décidé de fêter décembre.
Vive le froid et la Sibérie ! Le froid qui a forgé notre volonté de fer.
À bas le doux mois de mai ! À bas la faiblesse ! Vive la haine !
La haine, qui a durci la solidarité ! Vive la Révolution !
Je n’ai rien à dire de moi.
Je me cloître à la maison et je mâchonne des cuisses de poules et du foie gras avec des salades.
Ne déclame mes vers nulle part, sauf dans ma chambre, en messe basse, tout seul.
C’est quoi cette absurdité à propos du LEF ? On n’aurait pas autorisé l’impression du numéro 3 ? Je rentre immédiatement à Moscou s’il le faut !
J’attends toujours mon visa pour les Amériques.
Très copain avec Elsa et Triolet. Me balade avec Fernand Léger.
Affreux de ne pas connaître la langue.
C’est quoi ces gourdes qui te colportent des ragots à
propos de lettres que je leur aurais écrites ? Prends leurs noms et marque-les quelque part ! J’espère qu’au moins cette fois-ci personne ne croit à ces histoires à dormir debout ! Tu m’imagines, assis à table, en train de pondre des lettres à des filles ? Pure fantaisie ! On dirait du Faust, vraiment.
Mal du pays.
Un Chtchen en exil.
