
Ombre de Pierre
Voyons voir. Où est-ce que cela se trouve ?
Le tsar titube entre les meubles massifs en lisant les étiquettes collées sur les tiroirs.
… « La collection Beurdeley »… connais pas. Ça c’est après… « Les dessins français du XVIe siècle », ça c’est avant… « L’époque de Pierre le Grand », ah, voilà, on y est ! « Les dessins d’architecture ».
Il ouvre le tiroir et commence à sortir les dessins.
Quelle folie d’avoir bâti cette ville, mais je n’avais pas le choix.
Ah, le projet de Rastrelli n’est pas si mal que ça. Et celui-là, c’est moi-même qui l’ai tracé. Quoi ? Ils ont écrit en bas le nom de Trezzini ? N’importe quoi ! Que leur apprend-on à la faculté ? Est-ce là la main de Trezzini ? Ils auraient pu me demander. En tout cas, il faut le corriger.
Pierre cherche autour de lui, attrape un crayon, raye le nom de Trezzini et inscrit son propre nom en bas du plan.
Voilà, « Petr Alexeevitch », rien à faire, je suis obligé. Habituellement, les tsars ne signent pas, mais parfois c’est la seule façon de rétablir la vérité…
Il remet son plan par-dessus les autres.
Voilà ! Ainsi, ils vont tomber là-dessus et le publieront peut-être dans une de leurs revues : « Un nouveau dessin de la main de Pierre le Grand dans les collections de l’Ermitage ». Et quoi ? N’est-ce pas vrai ? Ne suis-je pas architecte ? Seul vrai architecte de cette ville ? Les rois se construisent des villes comme le commun de mortels se construit des maisons. De mon vivant, je n’avais pas de palais dans cette ville : toute la ville était ma maison !
Pierre le Grand sort, enfin, un grand rouleau et le déroule d’un geste brusque. C’est un magnifique plan de la ville relevé à l’aquarelle verte et rose. De forme ovale, il ressemble à un œuf nacré ou encore au bouton d’une fleur inconnue, prête à éclore.
Tiens ! Celui-là est signé « Le Blond » et daté de 1717. C’est bien ce que je cherchais. Voyons cela.
