
Nous voilà donc à New York. L’aspect de la ville est bizarre pour un Français, et peu agréable. On ne voit ni un dôme, ni un clocher, ni un grand édifice ; de manière qu’on se croit toujours dans un faubourg.
Dans l’intérieur, la ville est bâtie en briques, ce qui lui donne un aspect fort monotone. On ne voit aux maisons ni corniches, ni balustrades, ni porte cochère ; les rues sont mal pavées, mais il y a dans toutes des trottoirs pour les piétons.
Nous eûmes toutes les peines du monde à nous procurer un logement parce que dans cette saison les étrangers abondent. Enfin nous trouvâmes à nous établir à merveille dans la rue la plus à la mode, qu’on appelle Broadway.
Une grande difficulté que nous avons rencontrée dès notre sortie de France, et qui commence à être surmontée, c’est la langue. Nous nous figurions savoir l’anglais à Paris, semblables aux jeunes gens qui se croient savants à la sortie du collège. C’est souvent une pitié de nous entendre ; mais enfin nous nous faisons comprendre et nous entendons tout. On nous assure que nous finirons par parler remarquablement bien. Ce sera alors une excellente acquisition que nous aurons faite.
Vous désirez sans doute, ma chère maman, savoir quel est notre genre de vie actuel ? Le voici.
Nous nous levons entre cinq et six, et nous travaillons jusqu’à huit ; à huit heures, la cloche de la pension annonce le déjeuner. Tout le monde s’y rend ponctuellement. Après quoi nous sortons pour visiter quelques établissements ou nous aboucher avec quelques hommes intéressants à entendre. Nous revenons dîner à trois heures ; à cinq, nous rentrons ordinairement chez nous pour mettre nos notes en ordre jusqu’à sept, heure à laquelle nous allons dans le monde prendre le thé.
Ce genre de vie est fort agréable, et je le crois très sain ; mais il confond toutes nos habitudes.
L’absence de vin dans nos repas nous a paru dans le commencement fort incommode, et nous ne pouvons encore concevoir la multitude de choses qu’on parvient à se fourrer ici dans l’estomac. Vous savez qu’indépendamment du déjeuner, du dîner, et du thé, avec lequel les Américains mangent du jambon, ils font encore un souper très copieux et souvent un goûter. Voilà jusqu’à présent la seule supériorité incontestable que je leur reconnaisse sur nous.
Mais eux s’en croient bien d’autres : les gens ici me paraissent puants d’orgueil national ; il perce à travers toute leur politesse.
