
Lui revint encore la scène de la chasse. Face à eux, sur le petit pont, elle leur barre la route. Ils sont
harnachés de vert et de gris. Exaltés, méchants. Fusils cassés, mais chiens haletants. Un chevreuil les a semés :
– Un grand mâle, un brocard ! hurle un des hommes, qu’elle reconnaît.
Elle désigne la direction opposée à la course du cervidé. Sa voix à elle est plate, indifférente.
– Oui, je l’ai vu, il se dirigeait vers ce boqueteau de feuillus, bonne chance.
Une telle présence d’esprit... Elle en est fière. Et voilà maintenant que l’animal se permet de venir la hanter, jusqu’à s’introduire dans son lit étroit.
Dès le lendemain matin, enfin, elle l’approche. Le brouillard est léger, la lumière fine. Lentement, elle descend les degrés de la terrasse, glisse sur l’herbe humide à sa rencontre. Il est seul, sans son harem. Tous deux s’arrêtent, s’immobilisent. Sans doute, avançant le bras, le toucherait-elle. Elle cares-serait sa robe brune, sa face grise. Son pelage est-il doux ou râpeux ? Elle voudrait éprouver l’élasticité de ses muscles puissants, heurter la dureté de ses bois courts, enserrer ses bizarres pattes grêles, aux attaches fines et sèches. Elle-même est surprise par ce regard étonné. Regard appuyé, impudique, qui semble la deviner tout entière. Une expression qui peu à peu devient languide, s’imprègne d’une tendresse étrange. Et comme d’un bond, subitement il s’est enfui, franchissant le petit talus qui borde la grande prairie, elle le perd de vue. Confuse, comme honteuse de ce moment partagé, de cette proximité arrachée à la brume, à la vapeur d’eau, elle renoue son vêtement flottant.
