
Je suis coléreux, sensible, inspiré. Mais vous n’êtes pas obligé de me croire car je suis un grand menteur, ce que vous n’êtes pas non plus obligé de croire. `
C’est vrai, j’ai beaucoup menti dans ma vie. J’ai menti par cupidité, lâcheté, sadisme, générosité, omission, et aussi pour le plaisir, surtout pour le plaisir. Il suffit de commencer, ensuite l’habitude se prend vite. Tenez, par exemple, un mensonge anodin. Quelqu’un vous demande où est la route des Gardes ? Cette rue, vous la connaissez par cœur, c’est juste derrière, ensuite on prend sur la gauche. Alors moi je regarde le quidam. Quelque chose m’énerve en lui, son toupet de cheveux à la Elvis, ou ses pieds écarquillés dans des tongs, ou tout ce que je devine de son existence minable, alors je l’envoie direct à l’opposé. Une fois tout de même, j’ai vu revenir un routier que j’avais envoyé à l’autre bout de la ville. Je m’étais fendu de longues explications erronées. Vous pouvez me croire, c’est le chemin, j’y passe tous les jours. Avec mes informations, il était tombé dans une impasse, et maintenant je voyais son gros camion se précipiter sur moi comme dans un film d’épouvante. J’ai dû faire un grand pas de côté pour l’éviter. Les injures du bonhomme, je les ai encore dans l’oreille. Si on ne peut plus s’amuser.
Des mensonges, je pourrais vous en citer à la pelle : par exemple le jour où j’ai raconté à ma tante que des gredins m’avaient bousillé mon vélo. Ah, les salauds ! Un vélo tout neuf. Et les parents, ils allaient sûrement rouspéter ? Aussitôt elle m’a donné de l’argent pour une soi-disant réparation.
Ma tante, je l’aimais beaucoup. Juste avant qu’elle ne meure, je fis un autre mensonge. Je lui dis qu’elle avait bonne mine, l’air d’une jeune fille, vraiment tu es toute belle avec tes cheveux ondulés ; ça, c’était un mensonge charitable. On ne peut pas tout mettre sur le même plan.
