
A M. Jean-Jacques Rousseau.
J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre Bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre.
Mais, Monsieur, avouez que le badinage de Marot n’a pas produit la Saint-Barthélémy, et que la tragédie du Cid ne causa pas les guerres de la Fronde. Les grands crimes n’ont été commis que par de célèbres ignorants. Les lettres nourrissent l’âme, la rectifient, la consolent.
On m’apprend que votre santé est bien mauvaise. Il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes. Je suis très philosophiquement, et avec la plus tendre estime, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire.
A Jean Le Rond d’Alembert.
Mon cher philosophe,
Parmi les sottises dont ce monde est rempli, on a dit que j’avais engagé le Conseil de Genève à condamner les livres du sieur Jean-Jacques Rousseau. Il est donc nécessaire que je détruise cette calomnie. Je ne suis jamais entré dans la moindre querelle. On a poussé l’absurdité de l’imposture jusqu’à dire que j’avais prié un sénateur de faire chasser le sieur Jean-Jacques de Suisse. Je ne dois pas souffrir qu’on m’accuse d’une persécution. Je ne suis point ami de M. Rousseau, je dis hautement ce que je pense sur le bien ou le mal de ses ouvrages, mais si j’avais fait le plus petit tort à sa personne, si j’avais servi à opprimer un homme de lettres, je me croirais trop coupable.
Voltaire.
Gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.
