
Je commence par Vocation de saint Matthieu. Dans cette toile, mon personnage principal sera la lumière. Elle tombe du côté droit, oblique, sur une partie des personnages, en repoussant les autres dans l’ombre. Pour obtenir cet effet, je dois changer complètement l’éclairage de mon atelier.
- Mario, il faut boucher la fenêtre avec un drap noir !
Au plafond, je fixe une tringle qui court sur toute la longueur de la pièce. Sur cette tringle, je fais glisser une lanterne.
- Voilà ! C’est cette lame de lumière que je veux !
Ensuite, je passe au Martyre de saint Matthieu. Je dois peindre un soldat qui tue saint Matthieu pendant qu’il dit la messe. Ce n’est pas compliqué. Pourtant, je recule chaque jour le moment de me mettre au travail. J’ai un pressentiment... Finalement, je me lance. Je peins frénétiquement. Un matin, je m’aperçois avoir donné mon visage à l’un des témoins de ce crime. Pourquoi ai-je besoin d’assister à ce meurtre ? Est-ce là ce qui m’attend ?
- Angelo, c’est ton visage là, mais vieilli… On te donnerait dix ans de plus.
Dix ans : est-ce le temps qui me reste à vivre ? Je me concentre sur les personnages principaux : au soldat, presque nu, je donne le corps de Mario. Saint Matthieu, j’ai décidé de le représenter à terre, renversé sur le dos. Que faire de ses mains ? Il devrait se
protéger le visage, la poitrine… Mais non : je lui écarte les bras, pour mieux accueillir son tueur. Viens et prends ma vie.
- C’est magnifique. On dirait une scène d’amour, pas un meurtre. Mais pourquoi as-tu donné ton visage à saint Matthieu aussi ?
C’est vrai. Dans cette toile, je suis l’un des témoins, ainsi que la victime du meurtre commis par toi, Mario. Pourquoi ? Pourquoi pas ! Qui n’a rêvé de mourir par la main de celui qu’il aime ?
- Et en plus, regarde : tu as oublié l’auréole du Saint !
- Peu importe ! Je ne veux plus y toucher !
C’est mon tableau le plus personnel !
